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La revanche

Comme je suis fils d’algérien, je suis en lien avec la famille du bled, des cousins que je vois tous les mois d’août et qui sont impatients de recevoir leurs trois bandes blanches made in Toulouse. Ces temps-ci, c’est eux qui appellent. Au tél, c’est l’hallu ! Ils viennent aux nouvelles du terrible virus, me demandent comment ça va. Étrange, v’là qu’ils s’apitoient. Pour une fois, c’est eux qui se font du mouron, s’inquiètent pour moi. La tchatche est à fronts renversés. Ils me demandent si j’ai faim, si j’ai froid, peur ou la gale, la malaria peut-être. Je reste sidéré.

Avant, c’était moi qui m’enquérais de leur santé, qui me renseignais sur l’état du pays, un peu moins sur leur espoir d’un horizon moins terne. Là, l’affaire est entendue, c’est mort.

Depuis le virus, tout s’inverse et je sens un quelque chose de sarcastique dans le ton, une morgue, un épouvantable relent de vengeance. Il y a dans la voix un ricanement, un feulement de hyène, une douce jouissance, comme une libération, un « enfin ! »Ils crânent et me disent : nous, c’est huit morts.Ils salivent et pensent : « Enfin c’est eux qui casquent !… » Et je me sens visé.

Enfin les « blancs » vont payer l’addition du ciel. La comptabilité céleste va étaler son compte de résultat séculaire. Enfin, les riches, les pervers, les mécréants, les grands colonisateurs du monde, qui ne sont d’ailleurs pas musulmans, vont rembourser avec force intérêt le prix de la « grande nuit des parias ». L’ardoise est à la hauteur des crimes, de tous les crimes de tous les temps. La lourde va assommer sévère même les plus féroces anticorps.

– « Alors cousin ? Comment ça va ? » (Je lis entre les lignes…)
« Y’a longtemps qu’on en pouvait plus de ces dégénérés qui nous narguent de leur toute puissance, de leurs mœurs outrageantes et corrompues. Longtemps qu’on bavait de se payer l’occident et ses femmes trop belles et si faciles à défroquer, qui d’un claquement de doigts divorcent et re-divorcent jusqu’à trouver le toutou docile qui acceptera qu’elles sortent, boivent et baisent. Ouais c’est vrai leur Zemmour avait raison, les blancs n’ont plus de couilles et paradent en culotte échancrée. Z’ont même un jour à eux tous ces pédés.
Longtemps qu’on piaffait d’en découdre avec ces crâneurs abâtardis et décadents. Ces chiens pouilleux qu’ont dépouillé, rasé la Palestine et perverti tous nos dirigeants.

Longtemps qu’on rêvait de marcher sur la gueule de ces païens qui officialisent les mariages homos, qui mangent du porc et arment les terroristes pour nous voir disparaître dans un combat fratricide et définitif. Longtemps qu’on veut se payer ces hautains qui nous refusent un visa et le derrière de la dernière de leurs femmes. »

J’ai soudain mal au cœur. Ils disent « eux » et je me sens visé. Bien sûr, mes cousins ne souhaitent pas ma mort, ils jubilent du corona qui nous a pris à la gorge. Ils libèrent de vieilles névroses, d’authentiques frustrations, des rancœurs aigres et âcres nées d’un autre confinement : celui de n’avoir jamais accédé à la liberté vraie, à la démocratie réelle, à la vie, tout simplement la vie.

Longtemps qu’ils attendaient mes cousins de me mettre au pas, que je concède à la déliquescence et à l’affaissement des valeurs « occidentales » dont je me faisais le Hérault aoûtien.

Longtemps qu’ils espéraient qu’un ciel enfin compatissant les venge férocement, ardemment, irrésistiblement. Ils nous regardent tomber et comptent les morts qui se multiplient dans leur inconscient comme autant de griefs oubliés par l’histoire. Ils évoquent tous les malheurs du monde… et je me sens visé.

Written By: Magyd Cherfi

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