Mixtape.
Magyd Cherfi/Coin écriture /Barack, Sadiq, et nous …

Blog

Barack, Sadiq, et nous …

Il s’appelle Sadiq, lui il est élu maire, maire de Londres. Maire de la capitale des capitales. Élu presque banalement, j’ai failli dire normalement si ce n’est qu’il est musulman dit-on, fils d’un chauffeur de bus, d’une famille issue de la misère Pakistanaise venue s’échouer dans la banlieue londonienne. Il a été élu sans surprise, même pas outsider mais donné gagnant dans tous les sondages et dans la rue. Il a été élu par des blancs contre un blanc bien blanc bien blond, beau riche et presque célèbre. Il a gagné contre l’imbattable argument de l’origine et de la couleur de peau. J’en reste baba. Baba car, qu’est-ce qu’il faut pas de prouesses et d’efforts pour en France élire un rebeu adjoint au maire d’une ville moins que moyenne ! Qu’est-ce qu’il faut pas de concessions, de reniements parfois pour intégrer le moule universel à la française ! Qu’est ce qui faut pas de « salamaleks » pour être du récit français !

Nous, pour être élus, faut montrer patte blanche et cesser de ruminer des rancœurs obsolètes. Il nous faut être moins arabes, moins bruns, moins musulmans, pas tout à fait éradiqués des traces d’ailleurs mais sérieusement essorés. Faut qu’on se lisse, qu’on épouse des courbes admissibles, à défaut d’être dissous faut qu’on ressemble.

Matez le sénat, l’assemblée, les conseils d’administrations des grands consortiums, des grandes écoles, scrutez les conseils municipaux, les génériques de films, les affiches du « français », la listes des grands prix, le noms de ceux qui pensent, créent, gagnent, les stèles de soldats morts pour la France. L’invisibilité nous sied.

Nous, on nous appelle beurs ou beurettes, ça fait moins arabe, un peu plus français sans tout à fait l’être. On nous appelle « Beurs » ce n’est pas que du verlan c’est aussi une astuce pour extraire une mixture plus douce, une espèce de nature light. En connaissez-vous qui soient à la fois élus et transgressifs ? Non, il nous faut pâlir, être polis, ensuite s’agencer dans la brique millénaire.

Arabe c’est trop épicé et dans ces contrées tempérées, on aime la demi mesure, on chéri la relativité. Il faut être un « soupçon » de ceci, une larme de cela, un chouia d’autre chose, une bouillabaisse sans trop d’espèces de poissons, une niçoise sans olive, un cassoulet sans porc (c’est un comble !) Il faut que ça « ressemble » c’est ça ! Pas plus, que ça ressemble, on fera avec.

À plus de cinquante ans, je suis moi-même encore qualifié de ce triste sobriquet. « Beur » comme on dit « ado » , l’éternel casse noix des banlieues. On est figés.

J’ai quitté ma banlieue depuis près de trente ans, je ne sais plus ce qu’elle est devenue et on m’interroge encore sur cet espace géographique ankylosé de névroses comme s’il m’était héréditaire. Je représente à vie ce lieu de toutes les malédictions. C’est mon identité d’autant que j’y suis né et n’ai eu cesse d’écrire ou de chanter ses rudesses et ses joies.

Alors j’assume. Je joue le jeu, je réponds pour entrer dans la cadre alloué. J’apporte même des éclaircissements perspicaces. J’essaie de ressembler à ce qu’on attend d’un bon français tout en l’étant, cherchez l’erreur.

Oui, je joue le jeu pour ne pas rajouter à la confusion des ombrageux concepts qui m’identifient comme un être multiple. Je joue pour correspondre aux tableaux analytiques, aux schémas sociologiques, bref à l’attendu.

Peine perdue, je reste beur comme un stigmate, un mal sans espoir de rémission, comme une fatalité sociale, un cacochyme, une ecchymose, un handicap. Beur, c’est la non-identité, c’est l’esquive.

J’aurai aimé incarner la France, l’héritage, l’universalité, aimé être ce que je suis par dessus tout : un pyrénéen, un amoureux des mots, un subversif, un supporteur de l’OM , un fan de Brassens, un athée, un poète, un libertaire mais je reste beur donc à moitié suspect.

En France on doute de notre légitimité à représenter l’idéal gaulois. Dans la rue t’es blanc ou d’ailleurs.

On est le bon ou le mauvais arabe.

Le « bon » quand on fait pas de vagues et le mauvais quand on rue dans les brancards. Pour tout simplement « être », il ne faut correspondre ni à l’un ni à l’autre. Blanc tu réussis, beur tu t’intègres, on nous a attribué un vocable de second collège, bonjour la république.

Le beur n’existe que dans la non-existence et pour non-exister, il nous faut plagier le blanc en contestant les névroses identitaires qui nous rongent. Il nous faut taire l’ambigüité qui nous habite et feindre la blanchitude, des fois sans le savoir. On a pécho l’automatisme. Faudrait ne pas faire rire ou n’exceller dans aucun des sports que l’on dit populaires. Nous sommes dans l’obligation de « bien aller » sous peine d’être traité de paranoïaques ou d’obsédés victimaires. Plus que d’aller bien, je dirai qu’on vit sous l’injonction de « mieux aller » qu’un autre . Nous sommes dans l’obligation de rassurer à la fois l’état, la nation et la république. En être les promoteurs impératifs sous peine d’éveiller quelques soupçons. Il nous faut zeler à mort pour en être. Il nous faut multiplier les allégeances, se pousser à croire et à force d’efforts faire croire.

Issus des quartiers, fils d’immigrés, de la seconde, de la troisième et bientôt quatrième génération, ni nostalgiques d’une France d’avant, ni comptables des morts inutiles pourtant libérateurs des peuples colonisés, nous voilà kidnappés. Certes pas de souche, certes pas baptisés ni porteurs de particules ou baignés de traditions judéo-chrétiennes, nous n’en admirons pas moins la beauté des églises et le raffinement de la lettre latine.

Souvent agnostiques, athées ou musulmans que je qualifierai de « tranquilles », la soudure tarde à prendre. N’appartenant souvent à aucun groupe politique, ni communautaristes ni patriotes, ni sportifs émérites, ni humoristes encore moins artistes reconnus, personne ne nous calcule mais tous nous comptabilisent sans aval.

À n’appartenir à aucun clan, on est englobés dans des « tout » qui ne nous concernent pas. Des « touts » hostiles entre eux.

On est en fonction, apostats ou musulmans, victimes ou tendancieux, héros ou criminels. On ne nous compte pas, on nous enrôle, on nous additionne ou soustrait, on nous case, on nous étiquette. Pour les uns on est des traîtres couchés au pied de Marianne, pour les autres toujours prompts à des solidarités palestiniennes. On en devient paranos, schizophrènes et peureux … jamais maires de Londres.

 

Written By: Magyd Cherfi

No Comments

Leave a Reply

S’abonner à la newsletter de Magyd Cherfi