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A Samuel

Il y a peu je demandais à un neveu, petit jeune homme au demeurant délicieux, pourquoi il faisait le ramadan. La question n’était pas anodine de la part d’un bouffeur de curés, d’imams ou de rabbins, ces trois aimables cousins. Pris d’effroi il m‘a répondu : je sais pas, et j’ai mesuré l’étendue du désastre, celui de pas savoir pourquoi on croit, pratique et s’incline. Pire il ne semblait pas comprendre mon neveu ce que voulait dire « croire ». Il semblait même pas espérer en échange de sa dévotion une quelconque consolation, pardon ou rédemption, ici nulle vierge ou rivières de lait. Il n’attendait rien de sa croyance, il croyait, point et ne cherchait pas à savoir pourquoi il ne savait pas. Magnifique petite autruche, il enfonçait tout son corps dans un sable funeste, semblait en vérité s’accrocher à la paroi la moins rude de sa vie, c’est tout.

Pendant qu’il disparaissait à vue d’œil, je sondais soudain la profondeur de l’abîme incarné par un cerveau éteint, infiniment vide. Je peux dire que j’en ai eu le vertige et une insondable peur s’est emparée de moi limant d’un trait les petites griffes qui me font condamner au débotté quelque croyant que ce soit. J’ai mesuré aussi l’étendue, la profondeur de sa peur à lui car la question l’a crispé tout entier.

Par cette simple question, il s’est senti menacé dans ce qu’il croyait être des fondements des plus légitimes, j’ai compris que ma question valait menace, qu’il semblait se dire comme dans la chanson de Souchon : « putain ça penche, je vois le vide à travers les planches ». À ma décharge, il me connaît aussi sous ce jour d’apostat tranquille, d’innocent athée, de pourfendeur souriant de prophètes qu’ils aient ou pas d’apparences humaines. Impensable, dans l’abîme qui nous séparait, deux épées se sont croisées qui cherchaient des cous à trancher. La mienne gorgée de sémantique anticléricales et de paraboles merdeuses, prompte à tomber sur n’importe quel bigot, la sienne plus translucide, floue mais prête à prendre à corps dans une armature de métal incassable.

Un quelconque quidam passant par là aurait pris notre tête-à-tête pour le plus banal échange et pourtant du néant émergeait le plus fratricide combat, le corps-à-corps le plus sanglant. Le pauvre n’avait rien à m’opposer comme argument qu’une sueur froide et une haine du même degré Celsius, l’un et l’autre mêlés et provoqués par la peur d’être pris en tenaille et enfin égorgé par une symbolique jugulaire. Haletant, il s’est vu traqué, pourchassé et crevé sur un bout de trottoir. J’étais mal. Ce n’était qu’une question atrocement banale et il a perdu pied. Ce n’étaient que des mots mais qui prenaient à cet instant la forme d’un rasoir Gillette ou peut-être d’une hache, de simples mots qui réclamaient sa mort.

Quant à moi, ma peur n’est pas née de sa croyance ou pas en Dieu ou par un degré de spiritualité quelconque, elle s’est cristallisée devant le vide et l’affolement du jeune homme, mon sang s’est glacé. Par une question somme toute anodine, me suis retrouvé dans la peau du tyran que je ne voulais pas être, la peau d’un prédateur traquant sa bête agonisante et blessée, une bête prête à mourir non sans être accompagnée dans sa lugubre fin par la bouche assassine. Ce jour-là, j’ai vu dans un tête-à-tête innocent le plus terrible combat qui soit, j’ai vu la mort en découdre, comme ça, l’air de rien. En d’autres circonstances, d’autres terres habitées d’ombres et de voiles, je serais peut-être mort ou mutilé.

Là, je ne devais mon salut qu’à une accidentelle filiation et certainement à toute l’empathie que je porte toujours à ce jeune homme qui ne demandait rien d’autre qu’être agréable au monde, je devrais dire à « son » monde déserté par les mots, la rhétorique qui sont autant d’idées qui font l’homme libre. Cher Samuel, paix à ton âme. En me remémorant ce tête-à-tête, je pense à l’homme libre que tu as été, au verbe censé élever les consciences mais voilà, le vide, le néant le plus saugrenu t’ont vaincu. On en rirait si ce n’est ta mort, si ce n’est cette ironie qui fait des ténèbres les absurdes et permanents vainqueurs de la lumière.

Written By: Magyd Cherfi

Comments: 3

  • El yatim

    Répondre 22/10/202013h58

    Je me suis heurtée à bien des têtes à têtes aussi…
    Être d education musulmane a été un choix évident, petit à petit, et j’ai grandi avec ce sentiment de n essayer de blesser personne. Ma famille surtout. Où on ne se pose pas la question vraiment de la croyance. Comme si l on naissait avec. Pourtant pas d islamistes chez nous. Et tout autour, à la goutte d or, à Belleville, à Bondy je les ai vu rôder autour des jeunes comme on attend le dernier souffle de la bête.
    Je sentais la mort planer, viscéralement aggripee à mes convictions de femme libre, je sentais, je nous sentais en danger…
    Je ne peux exprimer cette peur mais mon instinct, quand je vois, pauvres humains que nous sommes devenus, avait bien raison.
    Je ne peux m empêcher de pleurer à l’intérieur, le cœur endolori, tout le temps, je l imagine à son dernier instant.
    Ce professeur, M. Paty, qui utilisait le verbe et qui était lui. Un enseignant.
    J ai eu la chance d avoir eu quelques professeurs qui m’ont fait aimer la langue française, l Histoire, les langues vivantes et je suis aussi grâce à eux, bien vivante.
    Je ne peux m empêcher de pleurer à l intérieur pour ce jeune de 18 ans qui aura terminé sa vie comme un criminel.
    Un héros tranquille du quotidien décapité par un jeune homme sans cervelle.
    Les deux symboliquement sont mort bêtement, et violemment .
    Merci M. Magyd Cherfi pour cette lettre à Samuel.

    Akila, une zebda tellement triste.
    Inconsolable.

  • Une blanche issue de l immigration !

    Répondre 21/10/202014h32

    Votre « oui mais … » est dangereux, nauseabond et dérangeant. Rien ne justifie d oter la vie de quelqu un au nom d une croyance, d une religion ou d une idéologie. Arretez de depeindre les terroristes (ou les criminels) comme des pauvres jeunes egares ou écervelés, armés par la seule et supposée insuffisance ,voire maltraitance dans d autres de vos textes, de la France (et des Blancs comme vous aimez l ecrire) à leur égard. Avec vous, la France porte la double peine, 1) Elle serait responsable de ce qui lui arrive (supposée insuffisance ou maltraitance envers certains qui indépendamment de leur volonté deviennent forcément des terroristes) 2) Pour s en sortir, c est encore elle qui devrait réécrire ou modifier ce qui fait son essence, son histoire (dans votre texte, il y a semble t il trop de Blancs dans son histoire).
    Enfin, votre capacité à vous présenter en martyr de tout, de la France, des Francais, pardon les Blancs comme vous dites, atteint des sommets de ridicule si nous n etions pas dans une situation de clivage si grave. Vous portez une parole clivante et que je trouve souvent raciste. Dans vos écrits, vous faites souvent référence au peuple Français ou aux Blancs. N ‘etes vous jamais responsable de rien dans votre parcours, de votre vie, de votre destin ? Et pour finir, écrire un texte hommage en se mettant soi-même en scène , relève de la malhonnêteté intellectuelle. Je passe sur le registre lexical utilisé…

  • Jean Bachélerie

    Répondre 21/10/202011h44

    tellement juste et bien raconté, quelle plume.
    avec des mots, des phrases, des chansons, des paroles sincères , nous pourrons faire reculer les ténèbres envahissants de notre pauvre monde actuel!

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