Nadine chez les blancs
Nadine c’est quoi la blancheur de la peau ? C’est quoi être blanc ? Et ça sous-entend quoi ? Quand tu t’enorgueillis d’être blanche c’est dans quelle intention ? Qu’est-ce que tu présupposes ?
J’ai des réponses et pas de vérités. Moi qui suis fils d’immigrés algériens et qui dans leur exil ai perdu ma langue, suis devenu au fil de la francité, l’étranger de ma mère. Oui, très vite je n’ai plus parlé kabyle et encore plus vite je ne lui ai plus répondu qu’en français, c’est là qu’elle m’a traité de blanc. Pas seulement parce qu’elle ne maitrisait pas le lexique d’Hugo mais parce que parler français c’était causer la langue de l’assassin, du colonisateur, du voleur.
Chez nous parler français c’était la honte, c’était trahir la cause, trahir ses ancêtres et même Dieu. Le français c’était la langue des mécréants, une façon sournoise de manger du porc et de montrer son cul à la plage ou dans les couvertures des magazines. Mon père qui a perdu quatre frères durant la guerre d’Algérie a fondu comme une madeleine quand je lui ai montré ma carte d’identité française ! Il s’est senti trahi et m’a traité de blanc.
Toi Nadine t’es blanche et fière de l’être, moi j’ai voulu te ressembler en espérant qu’être blanc pouvait sublimer autre chose.
J’ai préféré Nougaro et Ferrer, ils rêvaient d’être noirs pour accéder à la fraternité. A cette époque je ne comprenais pas, c’est plus tard que j’ai saisi la métaphore. Môme je rêvais d’être blanc, je rêvais d’être blanc pour m’aimer moi… Ça a moins d’envergure.
Bref, ma mère et moi on se comprenait à deux langues. À moi la langue des dominants, à elle celle des exclus.
Elle nous traitait mes frères et moi de français comme la pire insulte et on se sentait insultés. Je lui reprochais quant à moi de n’être qu’arabe, ce qui la laissait perplexe…
– Oui je suis kabyle … Heu non arabe.
Elle se disait arabe par solidarité envers ces copines de misère.
Je bénéficiais pas de la réciproque. Être français c’était alors trahir l’Algérie … Point. J’étais juste conscient du pouvoir de cette langue que je domestiquais au jour le jour.
À dix ans j’embrouillais mes parents sur les feuilles de maladie, les courriers des caisses d’allocations familiales, les bulletins scolaires enfin tout ce que l’administration adresse de questionnaires obscurs. À dix ans tenir ses parents à la gorge c’est quelque chose ! Eux déjà au ras du sol je leur coinçait la gueule dans le caniveau en éclairant la profondeur de leur obscurité.
Ma mère me traitait de blanc parce que je lui répondais en français. Pour elle c’était ça être blanc, c’était parler français. Elle calculait pas la couleur de la peau, d’autant plus que la mienne tirait vers le marron clair et la sienne d’une blancheur de lessive. C’est dans les yeux de ma mère que j’ai compris que j’étais français et puis complètement dès que j’ai maitrisé ma grammaire ma conjugaison et tous les seconds degrés.
Ma mère se cognait la tête contre les murs d’avoir à subir la loi d’un enfant pas plus haut que trois pommes. Sa dépendance à mon endroit l’achevait. Elle était mon esclave j’étais son blanc.
– Tu vois Nadine, je suis devenu le « blanc » de mes parents pour quelques mots de vocabulaire et un peu de malice. Pas difficile.
C’est ainsi ; Erudit, on devient le blanc de l’analphabète. De la même manière un blanc socialement déclassé devient le noir d’un universitaire africain.
– Tu vois Nadine tu te crois blanche parce que t’es blonde, ma mère s’est cru noire parce qu’elle ne parlait pas français.
Et j’ai compris plus tard qu’être blanc c’est d’abord être cultivé, c’est vivre dans l’aisance matérielle, être blanc c’est pas être de peau blanche, c’est se sentir bien dans sa peau (nuance). Libre.
Être blanc c’est dominer son sujet, des fois dominer tout court.
– Tu vois Nadine, toi t’as confondu la couleur de la peau avec la hauteur de vue. T’as oublié la profondeur. Tu refuses d’admettre qu’on est tous potentiellement blancs quelle que soit la couleur de peau, qu’on est noir lorsqu’on est exclu par les autres et pire par les siens.
En vérité on est tous à la fois blancs et noirs. C’est un voyage, un mouvement des humeurs et des comportements. On est noir ou blanc c’est selon. C’est des moments qui sont apaisés ou tendus, ouverts à l’autre ou crispé, des moments de manque ou d’opulence. C’est selon, qu’on raisonne ou qu’on désespère.
– Tu veux que je te dise Nadine, t’es noire. T’es ma noire parce que contrairement à Marine tu te crois du camp de la république.
Et là j’suis pas dans la merde.
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