Livret de famille
Le ton ironique, sarcastique, souvent polémique de Magyd Cherfi (chanteur et parolier) dissimule la rage d’être né pauvre dans une cité de pauvres, avec ses lois de ghetto, cruelles et archaïques.
Comment échapper à la honte du nom, de la langue, de la couleur de peau, de l’accent et des vêtements de la mère… au zoo de la cité, laide, triste, oppressive ? Le narrateur accumule les tares des habitants, abandonnés de Dieu, pour rendre à sa mère l’hommage qu’elle mérite.
À travers treize récits brefs et percutants, Magyd Cherfi livre son Livret de famille ponctué de portraits de famille, de portraits de compagnons, d’un autoportrait. Le père tyrannique met les sept enfants au travail pour construire la maison individuelle salvatrice, la maison qui permettra au fils, Magyd, d’échapper au ghetto et de découvrir les filles françaises du bus scolaire. Elles sont moins farouches que les soeurs et cousines de la cité, celles qui « ne voulaient pas de nous, puisqu’elles ne voulaient pas d’elles ». C’est un temps de bonheur pour le narrateur « Pas une Fatima qui m’aurait fait baisser les yeux comme c’est la coutume dans la secte semoule ».
L’islam est représenté par les « bourreaux » libanais, les maîtres coraniques qui enseignent les versets et la langue arabe à coups de bâton, par les islamistes intégristes qui sillonnent les cités, ceux que le narrateur appelle : « les têtes barbelées ». L’islam est stigmatisé : « À chaque stress, on cherche le turban ». L’islam familial, c’est l’islam des pauvres, élémentaire, simple, affaibli par les prêches de l’islam de feu. Que peut faire le narrateur, athée tourmenté par trop de contradictions ? Il se fabrique une devise : « Échapper au ghetto reubeu tout en restant beur, assumer de ne plus être musulman tout en l’étant et couper le cordon du bled pour protéger nos mères ». Ces mères dont celle de Magyd, celle à laquelle il s’adresse dans le cours du récit. Il appelle « Maman » sa mère courage qui a le culte de l’école « l’école c’était ta religion ». Elle affronte les directeurs et l’administration scolaires pour sauver ses enfants du ghetto : « l’école à la maison faisait la concurrence au tapis de la Mecque ». Le narrateur écrit des poèmes ; il lit (il s’amuse avec les subjonctifs) ; on comprend qu’il lui faudra quitter le pays des pauvres, pour devenir le chanteur de la ville rose, Toulouse, sa ville natale. Grâce à l’obstination maternelle, il s’est « désanimalisé », il a conquis pour lui et les « siens » la scène qui lui aurait été interdite, sans l’énergie de sa mère.
Un « livret de famille » qui dit, avec pudeur, la tendresse d’un fils pour sa mère.
Voir le site des éditions Actes Sud
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22 août 20217h04Krim Latifa
1 mars 202116h32Je n’ai pas encore lu vos livres mais il me tarde d’y plonger.
Merci.