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Magyd Cherfi/Coin écriture /La Marine et nous

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La Marine et nous

Texte initialement paru dans le BibliObs (Obs) le 2 mai 2017

Même Français ! Pour elle on est Arabes, bronzés, maghrébins, clandos, musulmans, dangereux, d’ailleurs, de trop, etc. On est un tout, gris, frisé, hostile… que sais-je, un pistil qu’elle butine car elle fait son miel à nos dépens. On est son beurre malgré nous, elle nous étale sur sa biscotte France. Bref, elle se régale. On lui déroule un tapis rouge, on est son tout. Son doudou, son jouet, son arme fatale, sa raison d’être. A chaque échéance électorale elle nous brandit comme un torero sa cape.

Elle soulève une couverture qui nous montre apatrides, exorbités, vilains et puis aussi voleurs, fourbes et casquettés. Son doigt nous désigne illégitimes, non solubles dans la République et braillards. Sa bouche nous décrit perfides, volontiers traîtres islamistes et hostiles à l’état de droit. Pleins de défauts selon l’époque ou la météo. Elle soulève sa cape magique et nous voilà horreur à géométrie variable, on épouse la lie du moment. Elle nous fustige d’un verbe efficace. Elle score à des taux mirobolants dans des villages où y’a pas Arabe qui vive. Elle accomplit ce miracle-là qui nous fait pléthore jusqu’au plus isolé hameau.

Elle nous multiplie à foison ou nous efface à volonté, c’est selon les besoins de sa cause. Elle fait en sorte que le crime soit commis là même où il n’y a point de victime. C’est la magicienne au chapeau pointu. Elle montre un horizon et l’on voit des hordes basanées à l’assaut des dernières forteresses d’antan. Elle a inventé une France que d’aucuns croient encore blanche, catho et éternelle et dans un même élan un ennemi arabe et communautariste, hermétique et violent. C’est sa terre du milieu et on n’est pas les Hobbits.

Elle sème telle la Faucheuse le dégoût des autres et beaucoup y croient, une palanquée de misérables, vaincus. Cette France maculée de «vertus», beaucoup s’y plient à force de prières. Son conte plaît. La bougresse peint un petit village breton avec sa langue propre, ses codes et ses valeurs. Un monde merveilleux à la Walt Disney sans pauvres et sans Africains et ils y croient féroce les parias.

A chaque échéance elle nous sort son joker: l’Arabe! Et ça paie. A tous les coups la banque saute, elle fait péter le coffre-fort et nous on s’étonne de la valeur ajoutée. On se dit, on compte, on n’est pas rien, c’est déjà ça que d’exister même putrides.

A chaque échéance vous dis-je, on est son «as» impitoyable, sa carte fétiche, son trèfle à quatre feuilles, l’imparable joker, sa bonne étoile. Elle est trois fois gagnante, elle hérite de la fortune de son père, de la misère du monde et des Arabes. Banco! On incarne sa solution finale, c’est terrible. On est malgré nous son étendard, son tremplin, son souffle tricolore. Elle, elle se France aux dépens de ceux qui ne le sont pas dans le regard des autres. On la bonifie malgré nous, pire on l’arme notre immaculée diablesse, ensuite elle tire à bout portant sur nos cadavres basanés.

Ma parole! elle doit chérir le drapeau de Daech d’autant la revêtir de gloire, elle doit savourer des croissants chaque matin et se bâfrer de semoule. La nuit elle doit gémir des vive Lampedusa, les îles grecques, les Canaries! que sais-je, car plus la déferlante est proche et plus cela la conforte en sauveuse évangélique.

Oui, amis de tous les ailleurs ! On est devenus malgré nous son coffre-fort, son bien, son antidote, on la guérit. Soyez pauvres, noirs, Arabes ou malheureux et vous ferez sa fortune.

Sa prouesse encore, faire voter «Front national» une escouade de reubeus aigris, de blacks désorientés et autant d’ouvriers et de chômeurs assommés par la mal vie. Elle dévore, l’ogresse, ceux qui la portent aux nues. Incroyable paradoxe du monde moderne. Plus elle est entachée de triche et plus elle est sublimée, déesse inamovible. Mettez-la face à ses fautes et mille autres actes coupables et ce sera le Graal élyséen.

Oui, elle est cela, le dé qu’on jette et finit en double six. Elle est trois chevaux dans le bon ordre, les six numéros d’une grille mortifère, le pari des paris, le défouloir égoïste. Elle est la jungle et jongle avec la loi. Elle a retourné ceux qui sont censés la craindre, les démunis, les exsangues de tout. Jadis honteux, ils arborent désormais fièrement la lame qui va leur trancher la gorge…

Nous les repus, les blindés, les bienheureux, nous passons inexorablement à la caisse pour une ardoise désormais impossible à régler.

Written By: Magyd Cherfi

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