Je suis Niçois
J’ai cette chance de m’étonner encore et toujours. Je me surprends à dézinguer des icônes inamovibles au panthéon de mon histoire et à porter aux nues ce que je croyais médiocre, superficiel et plat. Je me surprends à redécouvrir au cinoche un navet moins indigeste qu’il n’y paraissait, à démystifier des chefs d’œuvre qui arrangeaient mes à priori trop rigides. Je me surprends dans des petitesses refoulées ou du panache inattendu. Je redécouvre le goût des légumes, la majesté d’une feuille de choux imbibée d’encre, la braise d’un humble regard, l’oxygène des foules et la complicité quelconque de quiconque. Je m’émeus des petites lâchetés qui rendent à l’humain sa part d’homme et me fout des bras levés des podiums.
Ainsi depuis hier je suis Niçois moi qui me croyais marseillais comme d’autres jours cubain ou afghan car je m’identifie aux causes. Après tout j’aime cet accent voisin de Raimu, j’aime le soleil et la mer – et quelle mer ! La Méditerranée, ce gros étang sans vagues qui me lie à mon pays d’origine. J’aime cette capitale écrin du rêve azuréen. Cette ville vacance des derniers repos, baie des anges venus chercher le dernier souffle d’agonisants consolés de mourir au soleil.
Depuis hier j’aime Nice. Encore il a fallu un drame pour être moins con. J’en ai marre qu’il me faille des morts pour dire « Je t’aime Nice » en lieu et place d’une humanité. Je suis l’imbécile qui regrette d’avoir été heureux. « Hier encore » chantait Charles j’avais vingt ans, je n’en pensais que du mal de cette ville parce qu’elle s’était choisie des maires voyous, d’extrême droite ou pas enclins à récupérer du syrien. Hier encore je lui reprochais de pas m’accueillir dans mon itinéraire d’artiste baladin, de jamais servir d’escale à un parcours la traversant. Toujours nous vivions un Tour de France sans son Tourmalet. Je lui reprochais d’être riche, blanche et raciste. Aujourd’hui c’est moi qui le suis, sur les bords, au milieu … Et je m’en mords les doigts car on est jamais assez « homme ».
Oh Nice je m’incline devant tes morts qui n’étaient ni blancs, ni riches, ni racistes mais innocents. Ils sont moi car je suis mort à nouveau et cette fois sous les roues d’un camion aveugle, dément et sans âme. Je meurs une énième fois de chagrin. Après New York, Ankara, Kaboul, Madrid, Abidjan, Londres ou Bruxelles. Après Toulouse, Paris, me voici Niçois. Délabré et confus mais Niçois avant tout et je pleure des frères, des sœurs, des enfants de toutes origines, de toutes classes sociales et de tous âges. Je suis désormais de toutes les villes, de tous les hameaux, tous les recoins qui abritent le souffle d’un être humain. Je vivrai chaque jour comme une éternité et porterai le plus grand soin à chacun de mes actes.
Tous ces morts je les pleure comme je me pleure de pas m’être élevé assez haut pour endiguer la bêtise innocente ou la folie criminelle car qu’importe, on est abasourdis par le nombre de victimes. On est rincés de plus savoir pourquoi tant de gens meurent et on cherche ce qui qui va colmater des biles gorgées de rancœur. Je me pleure d’être vulnérable et battu face aux idées, aux balles, aux roues ou à n’importe quoi qui veut s’imposer par la force.
Je me pleure à mort mais je ne meurs pas, convaincu de mon bouclier d’amour pour la liberté, l’égalité, la fraternité … en trois lettres la Vie.
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