Cours plus vite Charlie – c’est ton anniversaire
Défendre Charlie Hebdo contre vents et marées, comme s’il était un bout de soi-même, un organe vital, le défendre pour se protéger soi-même des inquisiteurs de tout poil qui veulent régir, poser des lois trop rigides, établir des frontières mexicaines, des murs israéliens, des Schengen illusoires, des limites quelles qu’elles soient.
Défendre Charlie comme si c’était la France, comme on vend chèrement sa peau, comme si le souffle en dépendait, la vie des siens, l’honneur qui n’est pas celui des tribus patriarcales. Défendre Charlie contre les miradors, les paravents, les toiles, les voiles, les barrières, les tours, tout ce qui cache l’inavouable. Je défends Charlie contre moi-même, seul dans mon coin, pour les jours où je suis aveugle et sourd, le défends à bouts de bras mais vaillant comme au pont d’Arcole. Je le défends parce qu’il va trop loin, choque et trouble. Oui j’aime Charlie parce qu’il me bouge, bouscule mes certitudes, me provoque dans mes fondements et j’aime ça. Oui je suis maso de Charlie parce qu’il me dépucelle, réveille mes sens et désobstrue tous mes canaux.
Je défends Charlie contre les igloos idéologiques, les verrous, les trous de mémoire, le défends contre les rideaux, les draps et les tentes qui marquent des territoires même symboliques. Je le défends contre les grilles, les barreaux et les barbelés, contre les briques les truelles et les sacs de ciment qui font les hauteurs inaccessibles. Contre cornettes, kippas et niqabs, contre les palissades qui prétendent les protéger, contre les tabous, les hontes et les fausses pudeurs. Je défends Charlie parce qu’il est effronté, sale gosse, grossier. Parce qu’il me fait rire aussi, pas toujours et qu’importe, j’ai pas besoin de rire pour apprécier le libre arbitre, le culot, l’affront, le courage.
J’aime sa légèreté, sa saleté qui me fait plus humble, son inconscience parfois. Je l’aime pour son humanité, sa frivolité, sa faiblesse. J’aime Charlie car j’ai pas besoin qu’on me fixe ma limite, je le fais moi-même, je m’autocensure à souhait et assez pour empêcher que d’autres aient la tentation de le faire à ma place. J’aime Charlie pour le risque et la déraison, parce qu’il est à la pointe du combat, au front, dans la tranchée des ignominies du monde. J’aime Charlie pour toutes les raisons du monde et même si c’est un homme plus qu’une femme.
Alors, bien sûr, il ne reste plus rien de la ferveur, fanée l’icône Charlie. Les dessinateurs et leurs camarades sont morts en martyrs de la liberté, morts pour des coups de crayons trop bien appuyés. Comme toujours on aurait aimé que scintillent leur noms dans un improbable firmament, qu’ils brillent éternellement pour nous rappeler aux valeurs éternelles de fraternité et de liberté. Qu’est-ce qu’on aurait aimé trouver la parade à l’oubli. Comme on aurait aimé qu’une douleur au fond du ventre nous troue et nous rappelle à ces hommes ou plutôt ces antihéros faits hommes. Comme on aurait aimé pleurer encore, nous retrouver battant le pavé pour la plus belle raison du monde et ensuite s’étreindre même devant un futur étrillé d’avance. Comme on aurait aimé que brûle en nous le feu des désespérés. Hélas, mille fois hélas chacun s’en est retourné à l’empaillage du quotidien, à la bataille nécessaire des classes, au bilan carbone, aux machins endocriniens, aux marges des nantis, aux endettés endémiques, alors cours plus vite Charlie.
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