Bacri, âme damnée
Il semblait vivre sur le fil du rasoir, semblait ne rien accepter du commun des mortels parce que le commun des mortels a ce défaut d’être justement commun. Il aurait aimé que chaque être humain soit si différent d’un autre, qu’il ne puisse plus être possible de parler du « commun » des mortels mais « du singulier » des mortels. Sa souffrance semblait naître de ce qui est inhérent à l’humanité : sa banalité, presque l’effort qu’elle fait pour l’être. Je dis sa banalité comme j’aurai dit sa médiocrité, il souffrait que ces tares souvent ne sont que le fruit de l’ignorance contre laquelle bien sûr il ne pouvait rien.
Cette hypersensibilité-là le suppliciait d’autant qu’il n’accédait pas lui-même à un statut supérieur qu’aurait échappé aux contingences, ces choses qui nous obligent à plier l’échine pour ne pas être broyé par les règles censées réguler les instincts. Les hommes ont donc établi des règles qu’on appelle loi et elles ont enfanté d’une jungle et c’est marrant qu’ils veuillent à ce point éradiquer celle qu’on nomme « jungle » comme si la sauvagerie était l’apanage des animaux. Il aspirait à une supériorité qui l’aurait fait passer pour « l’imbu » des imbus et il portait et le poids et la pleine conscience de cet orgueil dément. J’aimais cet homme pour cette utopie mortifère qui ne réserve que des jours sans bleu et des nuits maculées de blanc, le reste n’étant que l’écarlate des blessés de guerre.
J’aimais cet homme dont on disait qu’il « fait la gueule », il ne faisait que porter en coupable la cupidité générale, l’onde détestable des égoïsmes en tous genres. D’aucun diront qu’il était à fleur de peau, je le crois et porter ce fardeau c’est être désagréable et il l’était. Je l’ai rencontré l’ai trouvé désagréable mais comment lui en vouloir de ne pas jouer la comédie des mœurs que je m’inflige moi qui n’ai pas cette acuité là. C’est comme ça, j’aime les hommes qui désespèrent, qui crèvent d’avoir à plier et crèvent encore plus d’accepter de ne pas tout à fait tourner le dos aux rites bienveillants. Pourtant il a vécu jusqu’au bout ce grand écart qui lui était tout à fait personnel, et toute son œuvre signe la délicatesse des rapports humains, sa fébrilité, sa beauté parfois, assumant à la fois qu’on ne puisse être dans l’absolue élégance, acceptant d’être paré de l’âme la plus noire … et souvent des gens comme moi étions consolés qu’autrui puisse écrire, j’allais dire souffrir de la sorte.
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