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À cent jours de l’euro …

J’étais môme ma mère me disait :
« Il n’y a rien de plus stupide que de courir derrière une balle qu’il faut domestiquer avec ses pieds, c’est avec sa tête qu’on devient un homme, on la remplit d’abord et c’est après qu’on s’amuse. Mon fils, c’est pas bien de se servir de ses pieds, les pieds c’est pour les animaux. »

Résultat je suis minable balle au pied.

Pourtant je n’ai aimé que le foot. Je m’en suis même jamais lassé. C’est ma part d’ombre. Le foot vous venge d’être pauvre, triste consolation. C’est une indiscipline née et je la suis à la trace comme à la quête d’un trésor incas, c’est plus fort que moi.

Tous les dimanches j’attends la perle, l’instant magique, le Graal inespéré. J’attends comme un fauve à l’affût, l’exploit, le petit pont, le lobe, le retourné, l’amorti, la reprise qui va libérer ma frustration de n’être que cérébral. J’attends en spectateur le geste qui va apaiser mon inconfortable banalité, qu’il vienne consoler ma maladresse, mon embonpoint, ma virilité défaillante.

J’attends le geste que je ferai mien et qu’ensuite je vais accompagner de bras dressés bien hauts puis embrasser mon voisin qui embrassera le sien. Nous serons mille à pousser un cri qui vengera nos petits accrocs du quotidien.
Je cherche le soldat qui mourra à ma place et me glorifiera par procuration. C’est ça, j’attends la permission de me comporter en animal imbécile sans le jugement moral de la société des hommes.

J’attends ce gladiateur avide qui mouillera le maillot à ma place et qui va convoquer ses muscles jusqu’au dernier orteil. J’attends qu’il règle mes comptes avec l’adversité et au coup de sifflet va libérer sa laisse d’humain pour devenir ce monstre que j’ose pas être et qui en vérité gigote en moi. Pas fou je laisse au chien le privilège animal.

Ce sport aimé de tous est le plus mauvais élève de la classe. De tous les sports il se retrouve au dernier rang comme un âne bâté, indéboulonnable bêta. Il est assis au dernier rang le doigt dans le nez cherchant boulette et perturbe le cours de rires gras que d’aucun n’osera dénoncer. Il n’aime pas l’école. Ce sport de la rue et du peuple parle plus mal français que ma mère qui elle s’efforce à la concordance des temps. Ce sport du peuple n’a pas idée de ce qu’est l’élégance ou la galanterie. Pour lui, la femme est un derrière à la Kardashian, le noir une brute hétéro et le blanc un éphèbe entarlousé. Il se signe sans croire et prie la défaite de quiconque lui est supérieur. Il conchie la loi, les règles et de libre arbitre il ne conçoit que le sien. Il boude, braille et geint dès qu’il est mis à terre invoquant l’injustice à sens unique. Il se vautre à bord de bolides allemands qui dit-on font la nique aux six cylindres en V, pêche à la ligne des paradis fiscaux, engrange la prime pépère et pour couronner le tout vote avec ses pieds.

Aucune autre discipline n’a autant l’art de contester l’incontestable. Ce sport de tous les pauvres de la planète ne reconnaît qu’un dieu : le but ! Et son but franchir la ligne fatidique. Il a cet avantage d’être l’épée du peuple et le peuple n’existe que s’il est épouvante. Sage on ne lui reconnaît que le droit de voter et ça ne suffit pas. Le foot est affamé ou rassasié, il ne connaît pas la tempérance des codes civilisés. Il affecte le calme mais bave d’en découdre avec le mauvais sort. Il venge les vicissitudes et son avantage est de pas cibler sa victime, elle est n’importe qui quelle que soit sa classe sociale, sa religion ou la couleur de sa peau. Bagarre étrange.

C’est ainsi le foot a pas d’idéologie, il est de tous les camps. Il a pas de patrimoine, pas de culture adossée sur un mur d’église. Il ne croit qu’en lui : c’est sa force et en ça, il rassemble autour des stades les pires ennemis qui s’embrassent où se déchirent au gré des circonstances et à guichets fermés. Il nous dévoile la misère des cœurs et la faille morale. Il montre des choses d’en bas, de ces saletés qui nous appartiennent à tous et c’est pour ça que c’est le plus populaire.

À défaut d’instruire, il aère.

Written By: Magyd Cherfi

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