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Nadine à la dérive

Elle dit qu’elle est blanche.

Elle aurait pu dire je suis femme, je suis lorraine, gourmande, blonde, acariâtre …

Enfin, y’a plein d’adjectifs et la langue française ne manque pas de qualificatifs.

Mais non ! Tout à coup elle affirme : « Je suis blanche ! », comme un marqueur des civilisations, une graduation qui la situerait au dessus.

Une espèce d’évidente et tranquille supériorité. Alors nous les foncés, les neg’marrons, les jaunes, les chamarrés, les rouges, les bruns enfin quoi les bougnoules ben … on se vexe.

On se dit non ! On est pas moins bêtes, on appartient à des civilisations qui ont eu leurs heures de gloire. Et chacun y va de son refrain et déballe les vestiges. Et, qui l’invention de la roue, qui sa pyramide, qui la médecine et la science des astres, qui le fil à couper le beur, qui la pâte Panzani !

On dérive à notre tour en racontant l’histoire de grandes civilisations défuntes auxquelles on croit appartenir, on se raccroche à des branches quelles qu’elles soient pour sauver un honneur depuis longtemps bafoué. On va chercher ailleurs ce dont on est privés ici.

Des choses comme du respect.

On fouille dans les décombres d’une histoire flagellée pour trouver des frères, des choses qui nous ressemblent, une langue, un prophète, Dieu.

On fait de la récup’ pour se glisser dans une identité « jouable. » Adieu Vercingétorix, les rois fainéants, adieu les capétiens et tous les Louis, la cassolette et la ravigote, bonjour la semoule !

Qu’est-ce qu’elle a cru Nadine ? Qu’on allait se laisser décolorer la tronche sans broncher. Imaginez qu’elle soit pas raciste (ce que je crois) alors c’est quoi l’entourloupe ?

La réponse est : être ou ne pas être, une question à la Shakespeare. Juste qu’elle a dévoyé le célèbre adage. Avec Nadine, c’est devenu : être à tout prix ou ne pas être. Et c’est le « à tout prix » qui sème la zizanie. C’est l’affolement dans sa tête et de l’adjectif éphémère, elle passe à l’adverbe définitif.

Il s’est passé quelque chose et là voilà qui vire à la lubie comme un marin qu’a perdu sa boussole et mirage à tout va. Il voit des îles au sable blanc, une table avec un verre de jet 27, un truc vert et rafraîchissant et même des glaçons. Il voit des vahinés et baise déjà à la Brando, il voit ce qui macérait dans sa tête avant même d’accoster, c’est à dire des esclaves dociles et des échanges de porte-clés contre des tonnes d’or. Il voit son trône tressé d’osier parce qu’il ne s’imagine que roi.

Il s’est passé quelque chose dans la tête à Nadine, elle a dérouté comme le marin cassant le mât. C’est plus une île de sable blanc qu’elle aperçoit mais une jungle qui lui promet les affres. Pas de vahinés mais des torses velus armés jusqu’aux dents qui vont la cuire à feu doux. C’est donc qu’on lui a menti.

Elle ne sera pas reine Nadine « immaculée Marie » mais Nadine au milieu d’une foule cosmopolite (beurk). Les plombs fondent, adieu la suprématie blanche, le génie français, l’empire colonial. Quelque chose s’effondre qui ressemble à l’Annapurna et englouti toutes les chimères. Adieu la France.

Alors la faute à qui ? Qui a promis la suprématie d’un camp qu’elle s’est fait sien ? Qui a promis l’éternité ? Qui ? Le ciel ? Quelques obscurs écrits refoulant de leur encre la puanteur d’une fin du monde, des proches ? Qui a parlé d’un peuple éternel conquérant, invincible … La France.

Et soudain c’est quoi ce petit hexagone tout rabougri ? Ces églises vides, Pâques, Noël , mutilés par l’Amérique Halloween, adieu cassoulets et pains bagnats, bonjour Mac et Kébab. Ça part à vaux l’eau, ça prend l’eau de partout. Ça s’affole des mélanges. Le mélange comme un poison. Mais non le mélange c’est d’abord la modernité et la réciproque vaut.

Rien à faire, machine arrière ! Si la France avec un grand F n’existe pas, on va s’en fabriquer une au pas de force. Ils vont l’apprendre la Marseillaise tous ces reubeus heu … rebus ! Et puis leur enfoncer dans le crâne des « notre père » en latin. Y vont le becqueter le Racine et la racine et puisque c’est ce qu’ils réclament … Des racines ! On va creuser bien profond. On va niquer la roche quaternaire s’il le faut, creuser encore jusqu’à l’incontestable. On va leur concocter un patrimoine de chez bocage normand avec de la picrate et du confit d’oreilles de porc, on va graver dans la roche les dix commandements du petit français. À la longue ils finiront bien par les prendre pour des écrits saints, ça s’est déjà vu.

Nadine et d’autres oublient trop souvent que nous, jeunes et moins jeunes issus de l’immigration nous avons aimé (enfants) être français, aimé qu’on nous offre des ancêtres. Nous n’en avions pas ou disparus dans la mémoire blessée. Nous avions des ancêtres aussi gaulois soient-ils, même blonds et tressés. Ils nous raccrochaient à nos camarades de classe. Nous étions rassurés d’être adoptés de la sorte et quelle que soit la couleur de notre peau et notre rang social. Ça s’appelait la République et l’école nous faisait frères.

Oui, nous avons été français le temps de l’innocence, ce temps des blouses grises où nous étions traités d’égal à égal.

Même bruns nous avons aimé être blonds de l’intérieur et on s’est fait une famille, des oncles qui s’appelaient Vercingétorix, Saint Louis, Philippe le Bel, Charles VII puis plus tard les Bourbons, toutes les républiques, avec certes un bémol pour le régime de Vichy.

Il fut un temps où on a été blancs et même français. Aujourd’hui, moi qui suis désabusé mais pas désespéré, je pose la question à Nadine …

À lire prochainement,

« Nadine chez les blancs »

Written By: Magyd Cherfi

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