Mixtape.

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Le livre

Décidément on ne lit pas le même livre. À les écouter, ils sont eux les élus et nous les dégénérés. Ils ont du bol de s’être ainsi arrogés la bonne place, de s’être assis du bon côté de l’éternité. Moi je ne me paie pas ce luxe. Je ne suis pas sûr d’être au bon plaisir de dieu, je me dis qu’il doit pas aimer que je m’interroge sur le sens de la vie. Des fois c’est le contraire. Je me dis puisqu’il est « mystère » … c’est donc bien qu’il attend de nous qu’on doute, qu’on réfléchisse.
Ils ont du bol de penser que vivre est une infamie : ça met les neurones au repos et l’existence au statut quo.
Pour eux, aimer vivre c’est accepter d’être « sale », je veux bien l’être si c’est être libre. Mon problème à moi n’est pas d’être sale mais vivant. Mon problème ou plutôt le leur c’est que je goute à la liberté tous les jours. J’ai ce privilège : qu’y puis je ?

Je passe mon temps à rire, travailler, boire, chanter, écrire et parler sans qu’on vienne me séparer le corps des testicules.
Quand on les écoute, on a tout faux, ils détiennent la vérité. Z’ont du bol. Leur vérité, nettoyer l’humanité de fond en comble, on dirait un certain discours. Ils doutent de nous, ils oublient que c’est d’abord de soi qu’on doit douter.
Moi, je doute de moi parce que je suis libre et c’est mon plus grand bonheur de pas savoir. L’incertitude est un moteur qui me va, il me fait vivant.
À les écouter, ce livre n’aime pas les français, donc pas de Voltaire, de Rousseau, de La Fontaine, je doute. Dieu ne peut pas détester qu’on s’élève.
À les écouter, le « livre » n’aime pas les immigrés non plus puisqu’ils ont quitté leur terre natale immaculée pour une autre dégueulasse, impie. À les écouter, ce livre ne m’aime pas non plus puisque j’ai choisi d’être moi. Un homme qui se pose la question de son existence est un mécréant. Mince ! Je connaissais pas ce mot et je trouve qu’il a de la gueule. Le mécréant est celui qui conteste, c’est beau.

Pourtant mes parents sont restés algériens, la peur sans doute de trahir à la fois la cause, la nation et l’islam. Ces trois là sont inextricablement liés. Ils ont fondé leur art de vivre sur le Coran et le Coran les a menés droit à la rencontre des français, droit sur le débat. Les a obligés à la pesée du partage des cultures, à s’interroger sur l’éducation des enfants et conclu à la quête du savoir. Comment ont-ils fait pour comprendre l’inverse de ce que prétendent ces autres ?
À les écouter, ce livre n’aime pas tous les musulmans, y en aurait de mauvais et c’est nous. Mince !
Pourtant mes parents sont de bons musulmans et moi-même athée le suis puisque inextricablement lié à eux. Eux sont les « bons » moi le « mauvais » voilà la vérité. D’ailleurs je ne peux les identifier autrement que croyants. C’est (je vous l’avoue) à n’y plus rien comprendre.

Moi, j’ai toujours aimé ce « livre » qui a fait de mes parents des gens ouverts à l’échange et c’est dans cet esprit d’ouverture que ces deux kabyles ont très tôt appris l’arabe, le français et n’ont jamais cédé à l’impératif de l’apprentissage scolaire.
Tout leur principe de respect des autres et de soi a toujours été intrinsèquement lié à leur croyance. La pitié, la compassion, l’amour, la droiture, l’honnêteté sous toutes ses formes, la solidarité, l’altruisme, l’éducation, la formation de l’esprit, l’élévation spirituelle … Tout a été puisé dans « le coran ». Vous y croyez ? J’en suis un modeste fruit.

J’en témoigne, jamais au nom du livre il a été question de « jihad », ou de violence envers autrui. Jamais au nom du livre j’ai entendu mes parents évoquer une quelconque vengeance, rancœur ou autre dégueulis haineux.
Mes vieux se sont offusqués des brimades à leur endroit mais toujours se sont inclinés devant le savoir déversé par une école (laïque) qui a vu leurs enfants traités d’égal à égal. N’en déplaise aux grincheux.
Ils s’en étonnent encore et embrassent d’un seul baiser la république et le ciel.
La république et le ciel, détonnant mélange qu’ils ont domestiqué dans une effarante harmonie.

Jamais au nom de ce livre qu’ils ont fait leur, je n’ai senti quelque antisémitisme qui soit, j’en veux pour preuve un huitième frère que nous avions à la maison qui n’était pas le fils de mes parents mais qu’ils ont considéré comme tel. Il s’appelait Richard, il était juif.

Certains lisent dans ce livre l’unicité d’un genre et si possible masculin. Ma musulmane de mère nous imposait à nous les garçons les tâches ménagères pour épargner aux frangines un déterminisme humiliant.
Ils parlent de règles, de limites à pas dépasser. Moi j’aime le « trop » qui accélère la mixité. J’aime la rue multicolore, pas pour le nombre des couleurs mais parce qu’elle dessine un projet de modernité. Oui je veux vivre avec mon temps et il impose un brassage inéluctable que d’aucun freine à la désespérée.

J’aime qu’on soit « trop » plutôt que pas assez, le trop impose l’apprentissage de l’humilité, il impose la compassion, l’empathie, l’effort de partager et son temps et son assiette.
Ils proclament une pureté des races, moi j’aime à penser qu’un jour, il n’y aura plus de population dite « noire » ou blanche.
Je me reconnais dans l’idéal bâtard si ça donne Dumas (l’Alexandre). Ils disent qu’on est pas soluble dans la république, je ne connais aucun musulman faire l’apologie de quelque dictature ou régime autoritaire qui soit.

Ils préfèrent leur soeur à leur cousine, leur cousine à leur voisine, et leur voisine à dieu sait qui. Moi, c’est tout l’inverse que je kiffe. Sans renier la fratrie qui me tient à coeur, je m’incline bien volontiers devant celle ou celui qui éclaire mon chandelier. Ma conviction s’appuie sur un socle des « Lumières », la leur est une nuit sans âge.

Written By: Magyd Cherfi

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