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J’ai peur

Ça y est ! Ils sont là, si près qu’ils sont presque nous. Comme des ombres qu’on espère ne pas être les nôtres. On peut toujours croire qu’on en est pas … Foutaises !

Ils sont bel et bien là sans uniformes, sans armes sans même d’idéologie. Ils ne sont ni grimaçants ni haineux, pas musclés mais chevelus, soignés. Ils sont … vous, ils sont moi tellement on se ressemble. Comment se bat-on contre soi ?

Ils nous l’ont promis « on sera là et pour longtemps ». Ils sont là et partout. Tout autour de nous, l’air de rien. Tellement nombreux qu’on les voit dans la cuisine, la salle à manger, qui sait dans son propre lit. Ils sont tout près et on sait plus les distinguer tellement ils sont proches. Ils sont peut être « NOS » proches. On n’ose y croire. Pensez y. Pensez à ces proches qui disent « j’en peux plus », « j’en ai assez » et autre « ç’en est trop ». Vous les devinez … mais si ! Ils sont excédés. Marre du tout dans lequel ils barbotent, et du rien de tous les jours. Pensez à tous ces « y sont trop », les « ils vont trop loin », les « font chier », les « ça dépasse les bornes » ! Les « faut pas charrier », « rien à foutre » et autre « rien à branler » … Les premiers symptômes sont là … Ça commence comme ça.

Et tout, ça ressemble à des gens bien, à des voisins, affables, aimables et prêts à rendre tous les services, à garder le petit, porter une armoire Normande, passer du sel. Ça ressemble à des amis sympathiques et quelconques, le coeur sur la main presque souriants et désormais le geste sûr. Ils sont chez nous dans ce qu’ils croient être « chez eux » et comptent bien régler des comptes, mettre des points sur des « i » et les pendules à l’heure … Sans heurts ni violence, juste le geste sûr – a voté ! Qui sont-ils ? Ils sont tout le monde. beaucoup sont blancs, facile ! Surtout ils sont jeunes et péchus. Ils sont ouvriers, bobos, homos, cadres, femmes et chômeurs bien sûr, mais ils sont aussi d’origine arabe, slave, roumaine, luxembourgeoise, frisés, reçus à coups de pied au cul. Vous m’avez bien entendu ! Ils sont blacks blancs beurs footeux ou laborantins, peut être musulmans pour certains. Ils sont d’Afrique ou des îles … On s’en fout. Ils sont un tout, croyants, laïques, athées, bouddhistes ou d’autres agenouillés devant des rois pas mages priants papa Noël ou la fée du logis. Ils sont n’importe quoi, le vent d’autan, la grippe, le retard de chaque train, le pain trop cuit, la femme enfuie, le fils malade, ils sont le quotidien désormais devenu inacceptable. Le mal est là qui s’appelle le quotidien.

Pi ya des plus âgés bien sûr, d’anciens communistes, d’anciens capitalistes, d’anciens rêveurs pacifistes ou guerriers, néo socialistes, démocrates chrétiens, droite dure ou centristes. Tous désabusés ou furieusement vivants de croire à l’étoile marine. Ils sont bien nés ou au contraire terriblement déclassés. Ils sont le mal et l’antidote en un seul flacon. Peu importe, illuminés ou graves ils ont décroché une lune et ça leur va. Ils votent au front parce qu’ils n’en attendent rien et mieux parce qu’il n’attend rien d’eux et ça soulage. Et c’est leur force, d’attendre tout, d’attendre rien, le pire ou son contraire. Comment les cerner ? Ils sont à la fois bienheureux ou dérivants d’une identité l’autre à la recherche d’un Godot qu’ils n’ont d’ailleurs pas lu et il ne viendra pas. Il ne viendra jamais mais contrairement aux héros de la pièce, ils s’en foutent. Ils se foutent de qui viendra ou pas. Et c’est leur force, leur force de pouvoir dire « on s’en fout ». Ils ont cette force en vérité de plus rien attendre, tous pliés de trop avoir attendu et entendu de sornettes, de promesses même les plus raisonnables. C’est comme une folie docile, la faiblesse tranquille, la violence légale. Et plus rien ne convient, ni la prudence ni l’excès, pas plus l’intégrité que le vice, cela se passe ailleurs, hors des boussoles.

On sait qu’ils sont lassés de pas assez d’extase ou de trop peu de réconforts, bref d’eux mêmes. Lassés des autres aussi, des phrases vides, des idéaux creux et de cette démocratie friable comme une gaufrette. Fatigués d’être honnêtes, patients, libres, exemplaires, heureux, passifs, accueillants et puis finalement pas récompensés. Fatigués d’être raisonnables encore plus de ne pas l’être. Fatigués de s’entendre dire « on a la solution » ou bien « on en a pas ». Plus rien ne va. L’idée même d’une réponse est morte née dès qu’il s’agit de l’éprouver car elle n’aura pas l’éclat du fantasme. Ils guettent la folie, la voilà à portée de main.

Ils sont là vous dis-je dans le salon … Peut-être un petit frère, un fils, un père ou une mère, votre boucher, l’assureur du coin, la religieuse, tous partie intégrale du tout sans avoir à voter. Ce tout dont on espère ne pas être mais on en fait parti des fois sans le savoir, des fois même en le combattant, en étant insouciant, honnêtes, patients, libres, exemplaires, heureux, passifs, et pas encore atteint. On fait parti du lot en pensant qu’ils ont peut être pas si tort, qu’il y a des limites à pas franchir, qu’ils ont pas les bonnes réponses mais posant les bonnes questions. On l’est en allant pas voter, on l’est chaque fois qu’on pense que c’est pas si grave. On l’est lorsqu’on se croit innocent .

On l’est de croire que tout est possible ou au contraire que rien ne l’est et que l’on soit progressiste ou réac. On l’est de se penser meilleur que son voisin on l’est de penser le contraire. On l’est de trop douter ou d’être plein de certitudes. On l’est de croire qu’on y est pour rien … Que le show must go on ! Mais on finit toujours par tenir un coupable, un jour de drame, une nuit de Saint Barthélemy ou pour un lampadaire éteint et tout à coup frappés plus fort qu’un autre jour, on bascule. On dit que c’est la faute à l’autre et l’autre c’est n’importe qui. C’est le nanti ou le clochard. le paria comme le parvenu. Tous, quand ils dérangent quelque chose qu’on croit appeler le bonheur. Ce front national est chacun de nous dans sa petite désespérance ou le fol espoir des grands nettoyages. Avant de l’attaquer attaquons nous à nous. J’ai peur.

Written By: Magyd Cherfi

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